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A la croisée des chemins : démocratie entre capitalisme et socialisme.

Sylvie Constantinou

Chapitres

L’opposition entre capitalisme et socialisme qui a structuré au moins jusqu’à la fin de la Guerre Froide notre univers politique semble avoir désormais bel et bien perdu de sa pertinence. Elle semble même avoir perdu l’un de ses pôles. Le socialisme n’est plus mentionné, ou bien il est assimilé au collectivisme, dans les ouvrages qui tentent pourtant de dégager une alternative au capitalisme. On assiste à la reproduction d’un phénomène d’opinion étonnant qu’avait relevé Karl Polanyi dans les années 1930, au moment où certains pays se sont engagés sur la voie du totalitarisme, plutôt que de poursuivre dans les voies du socialisme démocratique : « L’hostilité du peuple envers le capitalisme libéral est retournée avec grand succès contre le socialisme, sans la moindre réflexion sur les formes non libérales, c’est à dire corporatives, du capitalisme. » [Polanyi, 2008, p.375]. Ce sortilège continue à produire ses effets. Une crise économique sans précédent réveille une contestation du capitalisme en de nombreux pays, qui se traduit par la reconduction du capitalisme sous une autre forme, et non par le renforcement d’une des formes historiques d’alternative au capitalisme, le socialisme. A sa place, des dérives autoritaires semblent menacer de nombreux régimes démocratiques, en particulier en Europe. Il semble donc opportun de reprendre le fil des analyses qu’avait publiées Polanyi dans ces années de montée du national-socialisme pour y retrouver la trace qu’y a laissé le processus d’évolution vers le socialisme au point où il s’est arrêté et a dû laisser place au totalitarisme.

1. Le socialisme et la démocratie, alternatives au capitalisme ?

Le socialisme peut-il être considéré comme une alternative au capitalisme ? La destruction de la démocratie par laquelle il s’est fait connaître dans l’histoire ne lui a-t-il pas enlevé ce titre ?

A. La démocratie fonctionnelle.

La critique formulée par Polanyi à l’encontre de l’opposition entre capitalisme et socialisme a pu contribuer à ce que l’on range cet économiste singulier parmi les auteurs qui ont cherché une troisième voie libérale. En fait Polanyi a plutôt redéfini cette opposition dans des termes non marxistes dont l’intérêt reste encore difficile à apprécier du fait de sa référence à la démocratie fonctionnelle : « Une seule des deux solutions suivantes est possible : soit la classe ouvrière dirige, soit la classe des capitalistes. La première est synonyme de socialisme, la seconde de capitalisme. C’est une question de pouvoir. D’où le peu d’intérêt de toutes ces discussions sur la perversion des fonctions politique et économique, ainsi que sur la mise en place d’une démocratie fonctionnelle fondée sur une économie socialiste… » [Polanyi,2008, p.432]. La notion de démocratie fonctionnelle est tombée en désuétude, comme l’ouvrage de G. D. H. Cole [1980], l’Etat trifonctionnel de R. Steiner et la Comptabilité socialiste où Polanyi a décrit le délicat mécanisme qui devrait présider à toute future constitution politique socialiste. Le modèle fonctionnel de démocratie porte, selon les mots de Polanyi, la démocratie à son niveau le plus élevé, car il subordonne la totalité sociale, ses déterminations et ses contraintes, aux intentions et aux volontés des individus. Il se différencie par conséquent de toutes les formes de démocratie représentative qui faisaient à cette période de montée du fascisme, l’objet d’intenses critiques. Ainsi selon G. D. H. Cole la démocratie représentative enlève aux citoyens toute responsabilité pratique de gouverner, cantonne la démocratie à la sphère « politique » et laisse les autres sphères dans la non-démocratie. Enfin les institutions démocratiques sont moins représentatives dans les sociétés complexes où le gouvernement politique prend en charge de nombreuses dimensions de la vie sociale.
De ce fait, « the person elected for an indefinitely large number of disparate purposes ceases to have any real representative relation to those who elect him.”. Une démocratie d’un niveau plus élevé doit donc prendre en considération l’individu dans sa diversité sociale et personnelle. Il en résulte une société hétérogène, multiple, vivante, mouvante, impossible par conséquent à réduire à la seule lutte des classes. Les institutions de la démocratie fonctionnelle restituent souplement la vie sociale, « l’être humain dans chacun de ses aspects » [Polanyi, 2008, p.412] au lieu de le contraindre à respecter des principes de gouvernement posés comme des universaux intemporels, sans coordonnées géographiques, historiques et culturels particuliers, des principes définis en réalité exclusivement par les classes possédantes. La conception fonctionnelle de la démocratie ne supprime ni le rôle de l’Etat ni celui des représentants du peuple. Elle définit leur responsabilité par l’obligation de mettre en œuvre les moyens nécessaires à l’augmentation de la responsabilité des individus. Un régime qui organiserait la société à partir d’un tel niveau de démocratie ne serait autre qu’un régime socialiste. Polanyi a précisé de façon synthétique en quoi consistait un programme socialiste « qui vise à faire de la société un moyen de plus en plus adaptable pour une relation consciente et immédiate entre les personnes. » [Polanyi, 2008, p.394]. L’autonomie responsable des individus est posée comme la priorité de l’Etat, qui doit consacrer des moyens à « l’incitation à l’initiative de tous les producteurs, la discussion des plans suivant toutes les perspectives possibles, une supervision globale du processus de l’industrie et du rôle qu’y jouent les individus, une représentation fonctionnelle et territoriale, une formation à l’autonomie politique et économique, une forme intensive de démocratie dans les petites structures ainsi que l’éducation à la direction » (p.394). Même si l’on tient compte de certaines réalisations de l’économie sociale et solidaire [Prades, 2006], [Côté, 2001], ce programme est encore loin d’avoir reçu un commencement d’exécution au niveau politique. Il diffère, dans ses objectifs, et par suite les moyens qu’il préconise, des actuelles problématiques d’incitation à base économique qui visent à orienter les usagers vers les comportements jugés les plus adéquats par les experts pour l’avenir de la collectivité[1].

B. Le socialisme polanyien : comment assurer la suprématie du politique sur l’économie ?

Les articles publiés par Polanyi dans les années 1930 et portant sur le corporatisme, permettent de préciser ce qui différencie le délicat mécanisme de l’économie socialiste fonctionnelle décrit une dizaine d’années auparavant dans la Comptabilité socialiste, des autres modèles corporatistes qui ont fait florès dans ces années-là. Ces précisions permettent en même temps de différencier le modèle polanyien de socialisme démocratique, des actuelles variétés de capitalisme démocratique, ou des « formes non libérales de capitalisme ». Au niveau de leurs intentions, ces modèles institutionnels cherchent à rendre le capitalisme plus démocratique en assurant la suprématie du politique sur l’économique et l’extension de la démocratie à l’économique.
Cet objectif anime en particulier le concept d’Etat trifonctionnel de R. Steiner, « théosophe » autrichien, qui a inspiré nombre des constructions corporatives des années 1930 en Europe. On en retrouve l’inspiration aussi bien dans la constitution corporative autrichienne que dans l’ébauche de constitution formulée par les néo-socialistes anglais pour la « Nouvelle Grande Bretagne » (New Britain, titre du périodique d’obédience socialiste dans lequel Polanyi a fait paraître une série d’articles sur le fonctionnalisme) [Polanyi, 2008, p.397]. Ce concept, après quelques re formulations, est devenu le B A BA de l’organisation des pouvoirs publics démocratiques dans une société complexe. On retrouve en effet une inspiration fonctionnelle dans le découpage de l’action gouvernementale en ministères, qui donnent une visibilité politique à toutes les fonctions sociales, ce qui aurait dû permettre de compenser la tendance du capitalisme industriel à imposer des objectifs et des contraintes purement économiques aux autres fonctions de la société. Le projet de constitution des socialistes anglais, inspiré par le concept de R. Steiner, distingue par exemple la chambre Politique, la chambre économique et la chambre culturelle, auxquelles sont rattachés les différents ministères composant le gouvernement. En cas de conflit c’est la chambre politique qui tranche en dernier ressort, ce qui se comprend dans un régime démocratique. La chambre Politique est en effet « le dépositaire de l’idéal universel ; elle représente les êtres humains comme étant égaux. Ses lois et ses décrets sont l’expression de l’idée commune qu’ils se font de la justice. » [Polanyi, 2008, p.399]. L’intérêt général est ici de nature conventionnelle et non de nature transcendante (divine ou naturelle). Polanyi considère qu’inversement la voie est ouverte vers le fascisme lorsque la décision revient aux instances économiques.
Polanyi montre, dans l’article où il analyse la proposition des néo-socialistes anglais, que cette construction n’empêchera pas que les intérêts économiques (efficacité, productivité technique, croissance) finissent à nouveau par prévaloir sur les intérêts politiques (liberté, justice sociale, équilibre écologique). Le résultat est la subordination complète des instances politiques aux instances économiques qui exercent de facto les fonctions politiques. Sur le plan politique, cette bifurcation est favorisée par le suffrage indirect ou par guildes [Polanyi, 2008, p.397], c’est-à-dire par des techniques de démocratie parlementaire qui retirent le droit de vote aux individus et le donnent aux groupes. Sur le plan économique le fonctionnalisme corporatif finit par consolider et non par éliminer la séparation de l’économique et du politique, pour deux raisons principales : le rôle social de la propriété privée continue à produire ses effets de division et d’inégalité sociales et les différentes fonctions sont représentées dans des instances séparées. Or la logique du profit est la recherche de la rentabilité maximum du capital qui tend à imposer ce critère de décision à toutes les fonctions politiques, le travail, la santé, l’éducation… De fait le projet de constitution socialiste, sans y prendre garde, a placé le ministère du travail sous le contrôle de la Chambre économique. Polanyi prend l’exemple des heures de travail, qui sont « d’abord et avant tout une question d’ordre culturel » : « L’interdiction du travail des enfants n’est-elle vraiment qu’une affaire d’efficacité technique, et non d’humanité, de décence et de justice ? » [Polanyi, 2008, p.400].
Dans la Comptabilité socialiste la suprématie du politique est assurée par la suprématie du « droit social » dans toutes les décisions relatives au travail, sa répartition et la répartition du revenu. De ce fait les décisions prises par exemple par des actionnaires concernant la répartition du revenu, pour prendre un exemple ne figurant pas chez Polanyi, devraient entrer dans le cadre des conventions collectives salariales, qui régulent la distribution « du revenu monétaire de tout membre de la société selon des points de vue par principe identiques », chaque situation devant être prise en compte dans sa diversité selon des critères identiques. Une telle disposition reviendrait à annuler la différence entre revenus salariaux et non-salariaux. C’est pourquoi Polanyi peut affirmer que « la définition de tous les revenus de la communauté par le droit social annule l’économie de profit et de rentabilité dans ses fondements. » [Polanyi, 2008, p.305]. Comme l’a montré plus récemment B. Friot [1998], le salariat, consistant à définir les revenus par le droit social, revient à abolir les droits des seuls propriétaires privés à commander l’orientation de l’économie. Cet effet aussi important que politiquement discret du salariat explique pourquoi les classes possédantes n’ont de cesse d’en réduire l’extension.
En outre, dans le modèle socialiste polanyien, les instances de représentation politique des groupes de producteurs ne représentent pas séparément les deux motivations qui animent la vie sociale d’un pays industrialisé. Une telle séparation a été portée à l’extrême durant la Guerre froide, les deux grands pays en conflit représentant symboliquement l’un le pays de l’efficacité productive, l’autre celui de la justice sociale, alors qu’en réalité la réciproque était parfois également vraie. Tandis que dans le schéma de la Comptabilité socialiste (en le simplifiant), les fonctions économiques de l’individu dans une économie moderne, comme producteur et comme consommateur, bénéficient, chacune dans des groupes fonctionnellement séparés et au sein d’organes supérieurs de coordination, d’une représentation politique. Le politique n’est plus séparé de l’économique. Du fait que les individus, qui ont un intérêt direct à l’orientation des politiques économiques, participent, soit directement soit par leurs représentants, aux décisions d’investissement, l’impact sur la vie personnelle (l’effort de travail, la pénibilité) et sur la vie collective (l’environnement) sera davantage pris en compte, les choix d’investissements réalisés dans les entreprises ne seront pas exclusivement soumis au principe d’efficacité productive. Celui-ci sera pris en compte dans la seule mesure où il n’annule pas trop gravement l’application de l’autre principe de développement de la vie sociale. L’organisation proposée par Polanyi n’a pourtant rien d’hédoniste. En fait la responsabilité économique et sociale des individus est assurée par un dispositif comptable qui permet aux collectifs de travail et aux groupes de consommateurs de mesurer et de réguler le niveau des surplus résultant de leur activité de production et de leur désirs de jouissance des biens. Ce dispositif favorise la prise de conscience de la dépendance réciproque des deux pôles de motivation qui gouvernent l’effort au travail et le désir de consommation. Le fonctionnement de l’entreprise devient bel et bien démocratique puisqu’il repose sur l’unité psychique des individus vivants, tous également et directement intéressés à la prise de décision collective.

2. Les préjugés qui favorisent le refoulement du socialisme du champ de la politique. Retour haut de page

Tous les modèles fonctionnels de démocratie et d’économie sont restés jusqu’à présent dans l’ordre de l’utopie, sans espace public où se déployer. Ils visaient l’intégration de l’économie et de la politique, ces « deux fonctions de base de la société » [Polanyi, 2008, p.353] et une organisation fonctionnelle de la société qui est « la démocratie à un niveau plus élevé » [Polanyi, 2008, p.412], un niveau que n’ont pas encore atteint les formes démocratiques existantes, car ils se sont heurtés à deux obstacles épistémologiques majeurs, une conception erronée de l’individualisme et de la propriété.

A. La propriété privée, obstacle à l’institution du socialisme démocratique.

En réfléchissant sur les relations entre politique et économique, l’approche fonctionnelle se différencie des analyses libérales et marxistes qui se focalisent sur le conflit entre capital et travail et l’institution bourgeoise de la propriété privée. Or celle-ci ne permet pas de trancher entre les deux interprétations des effets de la propriété privée sur la vie sociale. Pour les libéraux, elle fonde la puissance de l’économie capitaliste et son mécanisme d’autorégulation, le marché se substituant à l’arbitraire des individus, qu’ils soient riches ou pauvres, savants ou ignorants. Pour les marxistes, la propriété privée est à la source de la division sociale entre des classes aux intérêts antagonistes. Sur un plan historique, la propriété privée a dans un premier temps contribué au progrès de la société, y compris au sens politique. Polanyi a pu ainsi relever, à l’occasion d’une nouvelle publication de « la critique de la philosophie du droit de Hegel », que le jeune Marx a d’abord été libéral, au nom du progrès, à l’opposé d’un Hegel qui préféra justifier l’ancien régime féodal. Si la propriété privée est devenue un poison pour la société, c’est que le capitalisme libéral et patrimonial en se développant dans une société démocratique pervertit la répartition du pouvoir de gouverner la société (la gouvernementalité de M. Foucault) [Foucault, 2004] en empêchant les deux classes antagonistes d’exercer pleinement les nouvelles capacités politiques et économiques qu’elles ont acquises durant la révolution industrielle. Aucune des deux n’est plus en mesure de gouverner l’ensemble politico-économique du fait de la double évolution historique de l’économie et de la politique. Tandis que les salariés ont acquis une capacité d’influer sur les décisions politiques par le vote démocratique, le gouvernement des entreprises reste, en dernier ressort, aux mains de leurs propriétaires.
Le capitalisme autoritaire, gouverné par les féodalités industrielles d’hier et d’aujourd’hui, est devenu incompatible avec la démocratie [Polanyi, 2008, p.438, puis plus amplement dans la Grande Transformation]. Le capitalisme est contraint par ses propres présupposés, à évoluer vers le socialisme. En effet la démocratie, qui est le régime politique qui accorde aux individus et non plus aux ordres ou aux classes sociales le droit de participer à la vie collective [Rancière, 2006, p.27], a été indispensable à l’émergence du capitalisme libéral et à l’industrialisation de l’économie. Le capitalisme a ainsi élevé en son sein des exigences démocratiques, auxquelles il doit faire droit pour continuer à persévérer dans son être, fonder l’économie sur l’initiative et la liberté individuelles et bénéficier de la diversité vitale qu’elles impliquent. Or accorder à tous les membres de la société le droit à l’initiative économique et au contrôle des orientations de la production et de la répartition de ses revenus, c’est instituer le socialisme. L’exigence de liberté et d’égalité, que l’on peut faire remonter à la démocratie antique, a soudainement été reconnue à une large échelle grâce au capitalisme, qui a poussé les individus à se libérer des tutelles hiérarchiques traditionnelles. Il s’agissait en fait de favoriser la mobilité économique des individus, sommés de rompre leurs liens sociaux pour suivre les mouvements de la marchandise industrielle. C’est pourquoi, simultanément, comme le montre la Grande Transformation, le capitalisme a arrêté une telle évolution démocratique[2], qui a trébuché sur le rôle social, économique et politique que le capitalisme fait jouer à la propriété privée. Loin d’être considérée comme une des propriétés de la vie humaine, comme certains philosophes du droit naturel l’avaient conceptualisée à partir du 17ème siècle, la propriété privée est venue remplacer les anciens critères de la hiérarchie sociale justifiant l’inégalité politique et économique entre les hommes. Dans les années de montée du national-socialisme, ce n’est pas « Le discours sur l’origine de l’inégalité » de J. J. Rousseau que cite Polanyi, mais un discours d’Hitler déclarant « que la cause principale de la crise actuelle est l’incompatibilité totale du principe d’égalité démocratique en politique et du principe de propriété privée des moyens de production dans la vie économique, car « la démocratie en politique et le communisme en économie sont fondés sur des principes analogues. » [Polanyi, 2008, p.393]. Polanyi en conclut qu’il est impossible « d’introduire tout type de fonctionnalisme dans une forme de société qui transforme les propriétaires en une classe de demi-dieux, au-dessus de leurs compatriotes. » [Polanyi, 2008, p.429]. Or « une somme d’individus est condamnée à la ruine et à la déchéance si la vie économique et politique mais aussi intellectuelle, culturelle et spirituelle en vient à être confisquée par un groupe infime d’intérêts établis. » que ces intérêts soient ceux des propriétaires du capital ou ceux du travail. « L’extension du principe démocratique de la politique à l’économie » implique l’abolition de la propriété privée des moyens de production » [Polanyi, 2008, p.393].
L’égalité des droits est certes fondamentale dans une organisation démocratique. Toutefois sa mise en œuvre effective nécessite-elle l’abolition de la propriété privée ? L’économie fonctionnelle préconisée par R. Steiner a tenté d’éviter d’en arriver à une telle conclusion. L’économie sociale adopte aujourd’hui la même attitude, comme le montre par exemple l’ouvrage récent de Sibille et Ghezali [2010]. L’expérience des coopératives ne montre-t-elle pas que le développement du capitalisme et l’approfondissement de la démocratie ne sont pas contradictoires ? Au lieu de l’abolition de la propriété privée, tous ces auteurs préconisent la dissociation du droit de propriété et des droits d’usage qui en découle. En effet le principe coopératif, un homme une voix, impose l’égalité des droits quelque soit le nombre de parts sociales détenues par chaque propriétaire. Les apporteurs de capitaux, par exemple dans les coopératives, renoncent théoriquement à l’exercice exclusif de leur droit de décider de la répartition des résultats et des orientations de la production. De même, R. Steiner est à la fois opposé au socialisme d’Etat et à « une caractéristique essentielle du capitalisme : la liberté octroyée aux propriétaires des moyens de production de décider de leur utilisation. » [Polanyi, 2008,p.403]. Malgré le dilemme ainsi créé, Steiner ne tient pas à abolir la propriété privée des moyens de production par pragmatisme et compte sur le fait qu’un système adapté de circulation de l’épargne soit en mesure de faire tomber la motivation du profit en désuétude, surtout « si l’humanité est éduquée à une conscience sociale ». Peu à peu le capital se transformera en revenus de l’épargne issus du travail de son propriétaire. Le statut coopératif des entreprises et la circulation « solidaire » ou coopérative de l’épargne, selon les idées de R. Steiner, devraient engendrer progressivement une économie plus humaine. C’est pourquoi une partie des militants de l’économie sociale et solidaire, outre H. Sibille et T. Ghezali précités, M Yunus et M. Nowak , défend la compatibilité de cette économie avec le capitalisme. Ce système est fondé sur la dissociation du droit de propriété du capital, qui resterait sous contrôle privé, et du droit de disposer de son utilisation, ce droit étant socialisé. A noter que le système bancaire, dont les effets globalement sont assez peu solidaires, fonctionne sur cette base grâce à la possibilité de convertir le capital en titres, propriété d’un individu, mais dont la gestion est de fait socialisée. En outre l’expérience a montré que les entreprises de l’économie sociale et solidaire résistaient mal aux pressions de l’économie capitaliste dont les principes sont maintenus. De même le socialisme de Guildes développé par G. D. H. Cole est tombé en désuétude. Ce modèle fonctionnel, dont s’est inspiré Polanyi, attribue la propriété des moyens de production et le droit de décision relatif à leur usage (usufruit) aux groupements de producteurs (ni à l’Etat, ni aux individus). Il n’empêcherait pas lui non plus que la logique du profit reviennent par la fenêtre.
Ces propositions diffèrent profondément de la proposition de Polanyi, en dépit de leur apparente proximité, une solution qui montre que le diable niche dans les détails. La Comptabilité socialiste attribue la propriété des moyens de production à l’Etat, et les droits liés à l’usufruit aux groupement de production c’est à dire aux « groupements d’une branche industrielle édifiée sur le système des conseils » (où le mot industriel doit être pris dans un sens large, incluant les différentes d’activités industrielles, y compris l’agriculture, comme le précise Polanyi en note). Ces groupements se substituent dans une démocratie fonctionnelle à l’entreprise privée. De ce fait, l’Etat n’a plus le pouvoir de spolier quiconque de ses droits de propriété, puisque « ses » droits de propriété ne lui donnent aucun pouvoir de décision économique. Et du côté des entreprises, la possibilité même des licenciements économiques se trouve abolie. Et en un sens la propriété privée, en tant que droit naturel attaché à l’individu social, lui n’est pas abolie puisque demeure la propriété usufruitière des biens. Le pouvoir de division sociale de la propriété est pour ainsi dire stérilisé. Le droit d’usage dans la Comptabilité socialiste signifie que les moyens de production ne peuvent pas être détenus en tant que titres commercialisables sur un marché. Seule la Commune (ou l’Etat ou dans le langage de Steiner les « guildes nationales ») détient ces titres, empêchant ainsi toute privatisation du patrimoine commun, détail qui se révèle important dans une phase de financiarisation du capitalisme. Sous ces réserves, les conceptions fonctionnelles de la société de Steiner et de Cole, et les coopératives, deviendraient des propositions économiques viables. [Polanyi, 2008,p.405)].
Le tableau ci-dessous récapitule les différentes structures économiques résultant des modalités de détention de la propriété et de son usage :

  Propriété   + Usage   - Usage
  Collectivité   Economie capitaliste d'Etat<   Economie socialiste fonctionnelle<
  Individu   Economie capitaliste libérale   Economie capitaliste corporatiste

B. La « supercherie » « inconsciente » : les paradoxes logiques de l’individualisme.

On comprend pourquoi la réforme des droits conférés par la propriété privée des moyens de production bute sur un préjugé récurrent, selon lequel une telle réforme enclencherait la dérive bureaucratique du socialisme. La socialisation et la démocratisation de l’économie susciteraient la planification centralisée, la réduction voire la suppression de toute initiative privée et en général de toute expression individuelle. Les deux sens de l’individualisme utilisés dans ce discours s’entre-détruisent, la fondation des droits économiques des individus, suite à l’annulation de l’inégalité sociale entre propriétaires et non-propriétaires[3], étant considérée comme l’acte de décès de leur liberté individuelle. Cette opinion courante sur le socialisme revient ainsi à parler pour ne rien dire. L’opinion savante justifie ce paradoxe par le fait que la propriété privée a permis le développement du rôle régulateur du marché sur le déroulement des activités économiques (production, répartition, consommation). La propriété privée est le moteur social de l’économie de marché, elle lui fournit son moyen de régulation automatique parce qu’elle fait reposer la dynamique de l’économie sur l’avidité (naturelle selon certains théoriciens libéraux) des individus laissés libres de leurs initiatives. C’est pourquoi la division sociale provoquée par la propriété privée des moyens de production est centrée sur les intérêts économiques (il y a d’autres sources de division sociale). Avec l’abolition de la propriété privée, la société perdrait toute faculté d’évaluer de manière décentralisée la valeur des biens et services échangés, et se trouverait contrainte de substituer aux prix de marché un bureau politique contrôlant de façon centrale l’économie. Les dysfonctionnements politiques et économiques produits par la centralisation ont été décrits par von Mises, l’économiste autrichien, dont Polanyi ne critique pas, dans la Comptabilité socialiste l’argumentation sur ce point. Mais la régulation automatique des effets du marché a un revers : l’élimination du rôle politique et économique de toute individualité qui ne soit pas purement économique, l’exclusion de toutes considérations autres que matérielles.
Selon les économistes libéraux, l’absence de propriété privée affaiblit le ressort du capitalisme et crée des tendances bureaucratiques. A l’inverse, on pourra soutenir que l’institution de la propriété privée fait naître la lutte des classes à laquelle les marxistes ont accordé un rôle historique par trop conforme aux attentes des économistes libéraux. Pourtant ces deux critiques reposent sur le même préjugé, identifiant l’individualisme produit par la civilisation occidentale à l’individualisme matérialiste.
La mise en œuvre du programme socialiste polanyien suppose une mentalité ou une vision du monde que l’institution de la démocratie fonctionnelle peut soutenir mais qu’elle ne peut créer ou plutôt recréer. Cette mentalité forgée depuis des millénaires par la culture occidentale (p.373), est caractérisée par une conception égalitaire des relations sociales, qui a contribué à faire émerger une conscience individuelle. L’individualisme d’origine chrétienne dont le développement conduit « inéluctablement »[4] au socialisme, est fondé sur le postulat de l’existence de l’âme qui met les hommes en relation entre eux et avec Dieu. Cette conception de la fraternité des êtres humains présuppose leur égalité de nature et que « la personne n’a pas de réalité hors de la communauté. » (p.377). Elle montre une parenté profonde, inaperçue de ceux qui la vivent, entre démocratie et socialisme (dans la société primitive telle que Marx et Engels vont la retrouver chez Bachofen [Polanyi, 2008, p.385]. La fraternité, ou l’individu en relations, est incorporée (embedded), à la vie sociale. Elle est vécue, et non consciente ou intellectualisée. C’est pourquoi Polanyi a rendu hommage [Polanyi, 1093] à la perspicacité de Robert Owen qui fut, en plein 19ème siècle libéral, l’un des seuls à avoir aperçu et explicité le lien entre socialisme et démocratie et sa portée pour l’avenir d’une humanité libre.
Le capitalisme libéral a tiré cet individualisme dans un sens opposé, car pour se développer au 19ème siècle il a dû s’appuyer sur l’individualisme qu’il a en retour contribué à développer. Mais de quel individualisme s’agit-il ? En analysant le contenu de la conception critiquée par l’anti-individualisme totalitaire nazi, Polanyi parvient à une conception de l’individu parfaitement superposable à celle de l’individu requis par la machine économique capitaliste [Polanyi, 2008, p.386]. Cet individu Polanyi le qualifie par un mot lourd de sens au voisinage des camps de concentration, celui de spectre. Dans l’économie capitaliste comme dans la société totalitaire l’individu est réduit à l’état de fantôme décharné, apparemment sans consistance morale ou intellectuelle : « Nous sommes dans un monde de spectres dans lequel tout semble être vivant sauf les êtres humains. » [Polanyi, 2008, p.380]. Presque 10 ans après « L’essence du fascisme », l’expression réapparaîtra dans la Grande Transformation, renvoyant une centaine d’années en arrière en Angleterre, pour désigner le résultat de la nouvelle loi sur les pauvres, Speenhamland, qui a opéré une transformation des être humains, destinée à rendre possible une société de marché : « En 1834, le capitalisme industriel était prêt à prendre le départ, et ce fut la réforme de la loi sur les pauvres…Au moment de son abrogation, des masses énormes de travailleurs ressemblaient plus aux spectres qui peuvent hanter un cauchemar qu’à des être humains. » [Polanyi, 2008, p.144]. Le capitalisme puis le totalitarisme ont produit une masse d’individus exaltant leur l’animalité ou selon une autre tendance décrite par Polanyi dans l’article de 1935 sur « l’essence du fascisme », de purs esprits, ou encore des être conceptuels, fait pour s’intégrer ultérieurement sans difficulté dans les systèmes managériaux d’organisation de la vie sociale. L’individu libéral correspond exactement à la situation de l’individu dans un système politique qui élimine le rôle de la conscience et de la volonté des individus comme êtres sociaux, dépendants les uns des autres. C’est ce que réalise l’Etat corporatif. « Les êtres humains y sont considérés comme des producteurs et seulement des producteurs…L’organisation effective de la vie sociale repose sur un fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. » (p.394). L’actuel fonctionnement des pouvoirs publics européens est adéquat à cette vision « économiciste » [Polanyi, 2008, p.518] de la démocratie. Dans le modèle polanyien de socialisme, la représentation des intérêts économiques, que ce soit du côté des producteurs ou des consommateurs, inclut à la fois l’intérêt technique (qui tend au productivisme) et l’intérêt social, porteur des idéaux les plus élevés d’une société, ce dernier ayant la primauté sur l’autre dans une démocratie.
L’individualisme dont le totalitarisme nazi a révélé la véritable nature anti-humaniste et anti-sociale, correspond à « l’individualisme possessif » (selon l’expression de C. B. Macpherson [1971]), philosophie considérant la satisfaction des intérêts matériels personnels comme une attitude légitime, parce que le désir d’enrichissement coïncide, selon cette philosophie de l’existence, avec la prospérité collective. Cet individu matérialiste fonde l’idée du marché autorégulateur, d’une économie mue par les forces impersonnelles du marché, la confrontation, libre ou appuyée par l’Etat, des offres et des demandes suffisant à déterminer la valeur des produits et des services échangés par les membres de la société. Le bon fonctionnement de ce mécanisme exige néanmoins une condition impérative, l’exclusion de toute interférence de la volonté consciente des individus sur le cours des marchés (des ressources naturelles, humaines et monétaires). Les individus, en tant qu’être humains en contact avec leur environnement humain et naturel, pourraient en effet d’eux-mêmes vouloir redresser les effets « involontairement » (le marché n’étant justement pas doué de conscience au sens habituel du terme) antisociaux et antiécologiques du marché et peser sur les prix pour éviter la faillite des entreprises, le développement du chômage ou la diminution des salaires sous le seuil de subsistance. L’économie libérale capitaliste est, théoriquement au moins, construite de telle manière qu’elle puisse pratiquement se passer de la responsabilité sociale des individus. Le marché autorégulateur ne pourrait pas fonctionner si les affaires économiques n’étaient pas rejetées dans une sphère dite économique, séparée du reste des intérêts existentiels[5]. De fait il ne cesse de se gripper. Et les responsables politiques libéraux ne cessent d’incriminer le manque de responsabilité des citoyens et leur avidité, parmi les raisons majeures de la crise économique.
Le préjugé anti-démocratique a substitué au lien discret entre capitalisme libéral et fascisme, symbolisé par la discrétion de l’autrichien von Mises, le lien beaucoup plus bruyant entre socialisme et fascisme. On pourra juger cette identification entre conceptions du monde libéral et fasciste comme trop audacieuse, en contradiction avec les évidences de l’expérience courante. C’est que totalitarisme et libéralisme en ont tiré des conclusions politiques différentes. Le premier en a conclut que l’organisation politique de la société ne pouvait pas être fondée sur l’individualisme (au sens athée), et que le pouvoir devait en conséquence être remis aux « meilleurs, aux plus « forts », aux plus « efficaces », aux plus « justes »… Tandis que les libéraux ont tenté, et poursuivent obstinément dans cette voie aujourd’hui, d’instituer la société sur un tel individualisme. Cette supercherie, et la méprise sur laquelle elle repose, permet de comprendre pourquoi l’abolition de la démocratie s’est produite au moment même où la démocratie s’efforçait de progresser non seulement au niveau institutionnel mais au niveau de la réalité sociale. Il était par conséquent extrêmement délicat, pour les contemporains de la montée du fascisme, de distinguer entre ce qui relevait effectivement de tendances démocratiques ou de tendances fascistes. François Perroux, économiste à la probité reconnue et grand témoin des corporatismes de cette époque, cite avec quelque étonnement les intentions programmatiques d’Hitler, tout en les jugeant inauthentiques : « Pour tout dire d’un mot qui traduit bien l’anticapitalisme brandi par l’hitlérisme, ses prétentions à une démocratie substantielle opposée à la démocratie formelle des régimes parlementaires et son souci de subordonner l’Économique au Politique : souveraineté de la communauté du peuple et non souveraineté du prix. … En fait il n’en est rien » [Perroux, 1938, p.86]. Le totalitarisme l’aurait-il emporté s’il s’était présenté sous un jour non-démocratique ? Polanyi avait certainement des raisons, qu’il serait difficile de retrouver dans le fourmillement de l’actualité de son époque, d’affirmer de façon si optimiste et assurée, que les russes étaient sur la voie de la démocratie (Polanyi, p.393 et p.493). Perroux avait certainement également des raisons de s’illusionner sur le caractère seulement provisoire de l’autoritarisme de la nouvelle constitution autrichienne.

3. Sous « la haine de la démocratie », le socialisme refoulé. Retour haut de page

La conception athée de l’individualisme rend impossible, sur un plan philosophique comme sur un plan pratique la mise en œuvre de la démocratie.

A. La démocratie dans l’impasse.

L’éthique fondée sur l’égalité a une correspondance politique, reliée avec elle par une nécessité géométrique dit Polanyi. Aussi est-ce plutôt du côté de la philosophie politique de Spinoza , qui ignore la dissociation entre les motivations politiques et économiques des individus, que des théories ultérieures du contrat et de la souveraineté, que l’on trouve une conception de l’individu correspondant le mieux à la mise en œuvre d’une démocratie effective. En effet en réduisant l’individualisme à l’individualisme athée, leur présupposé commun, le fascisme et le libéralisme ont par là même sapé, sur les plans idéologique, théorique et pratique, la faisabilité de la démocratie, et par suite, toute possibilité d’évolution vers le socialisme. Car l’individualisme matérialiste ne permet plus de concevoir comment une société pourrait être fondée sur la volonté consciente de chacun de ses membres. Comment concilier des intérêts aussi divergents que celui de l’intérêt collectif et l’intérêt individuel comme l’exige le fonctionnement d’une société démocratique (voir ci-dessus le « programme socialiste ») ? Et pourtant à quoi peut bien ressembler une société qui ne serait pas fondée sur la volonté consciente de ses membres ? Cette aporie sera manifeste chez les philosophes du contrat social au 18ème siècle. Rousseau par exemple définit l’homme comme citoyen, dont la volonté peut exprimer l’intérêt général, et comme individu personnel, intéressé. La volonté générale ou l’intérêt commun ne pourront émerger au-delà des intérêts particuliers que dans la mesure où l’individu et ses relations sociales (les factions dit Rousseau) auront été neutralisés. « En dernier ressort, l’individu doit être forcé à être libre[6]. Il nous faut admettre que, sur un plan purement normatif, le paradoxe de la liberté reste sans solution. ». On peut penser qu’une telle conclusion ne devait pas satisfaire Polanyi, qui a laissé cet article à l’état de manuscrit.
Nos contemporains ont réactualisé « la haine de la démocratie » en continuant à identifier l’individualisme social avec l’individualisme libéral. Dans son ouvrage, J. Rancière [2006] a décrypté savamment, en s’appuyant sur les nombreux ouvrages publiés ces dernières années contre l’individualisme, un retournement de l’opinion fort semblable à celui qu’avait identifié Polanyi. Ils montrent comment la contestation du capitalisme est convertie en contestation de la démocratie et en conséquence du socialisme. Certaines élites éditoriales tentent de parer l’individualisme consumériste des crimes de l’exploitation capitaliste, attribuant les vêtements de celui-ci à celui-là. Il n’est pas sûr que Rancière ait jusqu’à présent remporté plus de succès que Polanyi dans son entreprise de rétablissement des faits.
La contestation du capitalisme, foisonnante dans les années 1930 comme de nos jours, a été utilisée pour retourner le désir de démocratie des masses contre elles. Leur individualisme a été tenu responsable de l’inégalité économique et sociale. Aujourd’hui, il serait également l’une des sources importantes de la dégradation de l’environnement. Les masses révolutionnaires sont alors prises à leur propre piège : elles ne peuvent rétablir la justice sociale sans renoncer à leur désir de vie personnelle. L’individualisme serait lié à la conscience de soi produite par la propriété privée et il serait, en tant qu’intérêt particulier, une source de division sociale et un obstacle à ce que ce soit l’intérêt général qui prédomine en politique. Les sociétés modernes n’auraient le choix qu’entre charybde et Sylla, ou bien l’encadrement serré des individus priés de se conformer à la volonté générale exprimée par les représentants politiques ou bien à l’inverse, le cantonnement des idées d’utilités collective et de justice sociale réputées chimères dangereuses fondées sur l’arbitraire des préjugés, auxquelles il faudrait préférer le réalisme des intérêts particuliers.
Les attaques contre la démocratie ne sont jamais loin des crises économiques graves, qui nourrissent le fascisme. Et ces attaques sont démultipliées par la violence de la crise économique, que les milieux économiques imputent à la démocratie, aux régimes parlementaires, avec « les interminables crises des gouvernements et des coalitions, la dégénérescence du système des partis… ». Et les victimes de ces politiques sont d’autant plus prêtes à croire que la démocratie et ses exigences de justice sociale, est responsable de la crise économique que l’exercice du pouvoir politique par la gauche puis la droite a fait beaucoup de dégâts socioéconomiques du côté des classes populaires [Polanyi, 2008, p.354]. C’était le cas au temps de Polanyi de la politique monétaire menée par la gauche en France notamment [Polanyi, 1983]. C’est évidemment encore le cas aujourd’hui. En fait l’impuissance des démocraties résulte du libéralisme économique qui est incompatible avec un régime, une « gouvernance », fondés sur la primauté des individus dans toute leur diversité.

B. L’évidence du socialisme démocratique.

Le malentendu est complet par rapport à certains discours critiques à l’encontre de l’individualisme, en particulier dans les courants socialistes marxistes ou néo-marxistes, comme en témoigne par exemple le gros ouvrage de Jacques Généreux s’opposant aux méfaits de l’individualisme, source de « la Dissociété ». La prévalence de cette conception libérale de la liberté individuelle est au cœur de la supercherie « inconsciente » qui a rendu possible le triomphe du totalitarisme dans les années 1930, et celui du « managérialisme » [Polanyi, 2008, p.517] ou de l’esclavage gestionnaire de nos jours. C’est cette conception de l’individualisme qui conduit les socialistes eux-mêmes à critiquer la primauté de l’individu dans l’organisation politique et sociale et à se méfier de la démocratie, considérée comme un pur et simple outil de domination des classes possédantes. Cette méprise sur la signification de l’individualisme a ainsi conduit à ce phénomène incompréhensible de la servitude volontaire [Généreux, 2006, p.377], les socialistes et les démocrates contribuant eux-mêmes à détruire le socialisme et la démocratie. L’opinion populaire et savante rejette l’individualisme libéral, tant « la véritable nature de l’homme se révolte contre le capitalisme » comme le dit Karl Polanyi (L’Essence du fascisme, p.381). De ce fait, elle se retrouve prisonnière de visions politiques non-démocratiques, s’efforçant de neutraliser le rôle social des individus, réputés menacer le développement harmonieux des sociétés. L’ampleur de la supercherie se mesure à l’ampleur de l’étonnement provoqué par la thèse soutenue par Polanyi entre les deux guerres selon laquelle « Le socialisme estl’héritier de l’individualisme » et de la démocratie [Polanyi, 2008, p.373]. Cette vérité a si peu accès à la conscience savante démocrate et socialiste que c’est à Otto Spann, « prophète de la contre-révolution » fasciste que Polanyi l’emprunte, non sans malice, en la détournant des intentions de l’auteur, pour montrer que le phénomène totalitaire est une anomalie historique, en contradiction avec des millénaires de culture occidentale : « Le socialisme révolutionnaire n’est qu’une formulation et une interprétation alternatives plus strictes des vérités généralement acceptées en Europe occidentale depuis près de deux mille ans », à savoir que « Le bolchevisme n’est que l’extension de la doctrine individualiste des droits naturels de l’homme de la sphère politique à la sphère économique » [Polanyi, 2008, p.372]. Ces citations ne sont pas isolées. Polanyi relève à ce sujet une « unanimité… impressionnante » parmi tous les courants du fascisme mais aussi des courants libéraux réactionnaires [Polanyi, 2008, p.373] pour soutenir que« la démocratie mène au socialisme ». Le lien entre socialisme et démocratie est une évidence pour les peuples durant la période d’entre deux guerres, mais aussi la « conviction commune des fascistes « interventionnistes » (Hitler) et des fascistes « libéraux » » (von Mises) [Polanyi, 2008, p.393]. Polanyi appuiera ultérieurement cette conviction singulière en produisant en annexe de la Grande Tranformation [Polanyi, 1983, p.349] un tableau semble-t-il exhaustif, des progrès simultanés de la démocratie, du socialisme, de la social-démocratie et également, presque immédiatement après, des contre-révolutions.
L’effet déconcertant produit par ces formules montre que l’idée de socialisme démocratique a été radiée du champ politique bien avant l’avènement des totalitarismes, puisqu’il faut pour la retrouver, plonger dans des textes peu visités par les opinions démocratiques. Cette thèse prend nos évidences politiques complètement à rebours. Rien n’est plus évident de nos jours que l’idée que le socialisme est l’ennemi de la démocratie, de l’épanouissement individuel et de la diversité sociale. « L’idée selon laquelle le bolchevisme scelle la fin de la personnalité est presque un cliché de la littérature bourgeoise. » [Polanyi, 2008,, p.373]. Et certes, la prophétie est dans ce cas également auto réalisatrice. L’histoire n’a été que l’accomplissement de ce préjugé tenace. L’ouvrage de Sibille et Ghezali [2010] qui revisite l’économie sociale et solidaire comme alternative au capitalisme en crise, ne mentionne le socialisme, définitivement discrédité aux yeux de ces auteurs, que sous le vocable unilatéral de « collectivisme ». Aujourd’hui encore ce n’est pas chez le socialiste J. Généreux, mais chez le libéral M. Fleurbaey [2006, p.22] qu’on trouve une formulation explicite du lien entre socialisme et démocratie : « La logique démocratique poussée à son terme, aboutit au dépassement du capitalisme. ». L’auteur n’en tire aucune conclusion en faveur du socialisme, ce qui montre que le préjugé politique fondamental concernant la liberté de l’individu libéral reste plus fort que tout démenti théorique et historique. Ce préjugé va de pair, et soutient de toute sa force de conviction, la subordination volontaire, et à vrai dire enthousiaste, de l’homme aux besoins de la machine. Les revendications d’une vie personnelle plus riche, de la « la révolution du temps choisi » [Echange et Projets, 1981], de l’autogestion ou de la libre administration des communautés de vie par elles-mêmes, toutes ces manifestations d’une société démocratique « avancée » se heurtent à la discipline de fer exigée par l’économie industrielle. Faire dépendre le cours de l’économie de la volonté des individus, leur accorder le droit d’influer sur l’orientation des investissements, sur le niveau des salaires, de la productivité et des conditions de travail, risque, selon la pensée dominante, de gripper le mécanisme, de générer inflation, chômage et endettement excessif. Finalement l’individualisme social, ou chrétien selon l’expression utilisée par Polanyi, alimente la « pulsion démocratique » [7] des masses, qui a fait l’histoire européenne. Incompatible avec le bon fonctionnement du capitalisme libéral, cette recherche du bonheur indissociablement individuel et collectif est toujours menacée.
Il est fréquent, dans l’opinion courante et savante, de mettre en doute la réalité de l’égalité qui sous-tend l’évolution démocratique de nos sociétés. Cette égalité appartiendrait au monde des idées, ou de la transcendance et de la foi. Comme le montre la généalogie polanyienne, l’égalité est une question de credo, qui s’enracine dans l’histoire chrétienne. L’égalité du monde réel, de la vie de tous les jours est l’égalité arithmétique (Platon), athée (Polanyi). Si les êtres humains sont égaux c’est par leur nature d’êtres soumis à leurs intérêts matériels égoïstes et non par leur capacité d’êtres fraternels. Le réalisme de cette conception de l’égalité est tout aussi discutable que l’autre. Elle reflète surtout le type d’homme exigé par le capitalisme libéral. Le débat entre les deux conceptions de l’égalité devient alors impossible à trancher de manière rationnelle, puisqu’elles renvoient à la question ontologique de la définition de la nature humaine. Toutefois l’histoire politique a fourni une pierre de touche[8], l’équivalent d’une expérimentation en sciences physiques, une évaluation très exacte du réalisme de la conception libérale de l’individualisme. L’épreuve de leur dignité subie par les masses durant la période fasciste et national-socialiste montre que l’individualisme prôné par le capitalisme ne peut s’imposer dans la réalité sans abolir la démocratie. A la manière de Kant, nous admettrons que cette vérité reste malgré tout relative, que l’épreuve du totalitarisme ne permet pas de trancher la question ontologique. Elle offre néanmoins un critère éprouvé pour le gouvernement politique. L’individu fraternel, ou dans des termes laïcisés, l’individu social, sont incompatibles avec le fonctionnement efficace du capitalisme libéral. Celui-ci a dû se transformer pour se maintenir dans une société démocratique, et ce fût l’expérience du corporatisme, ou les formes actuelles de gouvernement technocratique.

Conclusion. Retour haut de page

Sommes-nous aujourd’hui « à la croisée des chemins » comme la Grande Bretagne, et solidairement avec elle le monde entier, en 1945 ? Polanyi espérait alors que la politique internationale de la Grande-Bretagne favoriserait l’émergence du socialisme démocratique, dans la mesure où ce pays avait renoncé aux dogmes de l’économie libérale et qu’il devenait possible dès lors, de songer à « une coopération sans réticence avec la Russie sur le Continent ». Eminemment bénéfique en termes de profits économiques, une telle coopération comportait cependant pour les élites en place, « le risque d’un nouvel élan égalitaire émanent d’un Continent transformé, sous l’influence russe, en un foyer de gouvernements populaires. » [Polanyi, 2008, p.493]. Le fait est que cet espoir d’une instauration de la démocratie en Europe a été déçu. Et pour Polanyi la responsabilité doit en être attribuée non pas à la Russie mais au « monde libre » qui a refusé, non seulement le socialisme mais surtout qui a empêché que la vision égalitaire de la démocratie puisse gouverner le monde d’après la seconde guerre mondiale.
Entre les deux guerres, Polanyi avait déjà formulé une autre proposition visionnaire et déstabilisante pour les préjugés de l’opinion savante, à partir d’une analyse fonctionnelle de l’économie. Nous l’emprunterons, en conclusion, pour montrer, d’un point de vue polanyien pourquoi les espoirs des années 1970 ont été déçus, tout comme ceux de Polanyi après la seconde guerre mondiale. L’expérience des années 70 est restée dans les mémoires comme la période où purent s’exprimer abondamment les exigences de liberté des individus dans la société. Un autre aspect, moins enthousiasmant, a été perdu de vue. Durant cette période les représentants des salariés avaient un réel pouvoir de peser sur le niveau des salaires, et de fait, l’expérience des années 1970 tendrait à montrer l’inutilité, voire les dangers, d’accorder à « n’importe qui », comme le veut une démocratie [Rancière, 2006], le pouvoir d’influer sur le cours de l’économie, confortant ainsi les préjugés anti-démocratiques d’une partie de l’opinion publique. L’inflation ne finissait-elle pas par annuler l’avantage obtenu par les salariés, puisque les chefs entreprises, avec la même liberté que leurs salariés, finissaient par augmenter leurs coûts de production, sous peine de voir l’entreprise travailler à perte ? En fait cet exemple montre précisément que l’économie libérale, même régulée par l’État comme c’était le cas dans les années 70, est incompatible avec une extension de la démocratie à la gestion de l’économie. Celle-ci nécessite l’institution du socialisme fonctionnel. L’irresponsabilité constatée durant les années 70 était encouragée par le fait que les intérêts en présence étaient représentés dans des groupes séparés, les syndicats représentant le travail et les organisations patronales représentant le capital. Cette séparation elle-même était justifiée par la propriété privée du capital, qui fait obstacle à une gestion publique, ouverte et concertée, de l’économie. De ce fait la concurrence entre les entreprises est renforcée et les interventions de l’État sont séparées de la réalité vécue des entreprises et par suite le plus souvent ces interventions sont inadéquates. Cette analyse économique en termes fonctionnels, telle que la préconisait Polanyi dans les années 1930, montre que la démocratisation de l’économie implique l’abolition de la propriété privée du capital. L’économie fonctionnelle de R. Steiner et l’économie sociale aujourd’hui tentent d’éviter d’en arriver à une telle conclusion, qu’elles jugent impraticable. Dans les années 1930, Polanyi doutait du caractère praticable des solutions humanistes et solidaires qui renoncent à modifier les bases du capitalisme. La place congrue réservée à l’économie coopérative aujourd’hui, quelques pourcentages de la valeur économique produite en France, confirmerait plutôt l’intuition de Polanyi.
Dans le modèle polanyien de socialisme, la coopération à l’intérieur des groupes de producteurs est assurée par une autre disposition du socialisme fonctionnel, le salariat[9] c’est-à-dire la détermination de tous les revenus par le droit social, qui revient à abolir les droits de la propriété privée du capital sur la détermination des salaires, et en outre neutralise à la base, la recherche du profit. La nationalisation des droits de propriété des moyens de production a encore une autre conséquence intéressante. Elle autorise la consolidation de tous les comptes des groupes de producteurs, à la manière de ce qui se passe aujourd’hui au sein des conglomérats ou des holdings. Or cette consolidation neutralise les effets non maîtrisables du marché sur les comptes de chaque groupe de producteurs. Les déficits des comptes n’ont plus pour origine l’irresponsabilité des salariés, mais les erreurs d’appréciation des planificateurs concernant l’orientation effective de la demande, erreurs inévitables dans une économie de marché. Nos modes de vie seraient probablement complètement bouleversés par une telle comptabilité socialiste. Le modèle de socialisme fonctionnel polanyien fait disparaître les sources de l’irresponsabilité consumériste et productiviste. L’organisation sociale est construite de telle manière qu’elle permette à chacun de se rendre compte qu’il est le plus souvent son propre ennemi. Dans ce modèle, l’État a la responsabilité d’accroître la responsabilité des individus. Ce faisant le socialisme fonctionnel ne pose pas les bases de la disparition de l’État, mais empêche la dérive irrésistible qui conduit à l’autonomisation du pouvoir par rapport à la société.
Ce modèle de socialisme montre les capacités visionnaires de Polanyi. Mais celles-ci bien entendu ne suffisent pas. La mise en œuvre de ce modèle suppose la destruction préalable des préjugés entretenus, en des sens politiques en apparence opposés, par les libéraux, et par les fascistes dans les années 1930, qui conduisent à nier que le socialisme puisse être démocratique. L’extension de la démocratie dans le monde se heurte moins aux dictateurs qu’aux préjugés sur l’égalité des individus. « La contribution majeure de Marx à la pensée et à la philosophie » dit Polanyi sans aucune ironie, fut d’affirmer « sans aucune ambiguïté que la tranche la plus pauvre et la moins éduquée de la société fournirait les dirigeants désignés de l’humanité ». Quel est le pays qui aujourd’hui juge suffisamment « rentable » d’agir pour la « progression de la responsabilité de l’individu » (p.394) ? Lire Polanyi aujourd’hui c’est se rappeler que le fascisme en Europe a été le résultat de l’incapacité générale à concevoir que la « myriade de salariés sans propriété », atomisés et subordonnés comme de simples rouages dans l’immense machine industrielle, pourraient être désignés comme représentants politiques. La méga machine industrielle n’est pas pour Polanyi un obstacle au développement de la responsabilité des individus. L’État peut toujours favoriser l’extension des relations entre les personnes au travail dans cette grande machine, afin qu’elles s’en approprient peu à peu le fonctionnement global.
Dans une telle perspective, il devient possible de soutenir que le capitalisme lui-même a été l’un des moyens par lequel le socialisme a pu progresser dans la société. En effet, il a du son développement à celui de l’individualisme qu’il contribue en retour à développer. Les socialistes d’obédience marxistes se sont fourvoyés en déduisant de cette origine historique du capitalisme que l’avènement du socialisme présupposait la destruction de l’individualisme ou plutôt du primat de l’individu dans la société. En outre cette méprise retourne contre le socialisme l’opinion fondamentalement anticapitaliste, qui ne se reconnaît pas dans la vision spectrale de l’individualité prônée par les institutions du capitalisme libéral, en particulier sous ses nouveaux habits managériaux ou gestionnaires. Polanyi demandait, entre les deux guerres, à ses contemporains d’être fidèles au jeune Marx qui défendait la libération des individu retenus par les pesanteurs de la société d’ancien régime qu’Hegel au contraire tentait de sauvegarder en attribuant, dans sa philosophie du droit, le pouvoir économique à des corporations sans avenir. Notre défi aujourd’hui, si nous voulons rester fidèles aux fulgurantes analyses de Polanyi, serait de renoncer à tenter de sauvegarder le capitalisme en limitant l’extension de la démocratie à l’économie à une grosse poignée d’entreprises solidaires hors-sol.
Le socialisme n’est qu’une forme plus aboutie de la démocratie. Polanyi exhume cette vérité « inconsciente » des discours fascistes et libéraux dans lesquelles elle reste encore de nos jours comme incrustée. Ce faisant il interpelle la manière dont l’opinion courante, en particulier l’opinion socialiste, se représente la démocratie et le socialisme comme des ennemis. Cette représentation a une histoire, et une histoire très politique. Elle repose sur un préjugé tenace, une vision inégalitaire de la vie sociale, incompatible avec la mise en œuvre du projet démocratique. Elle rend utopique le projet de réconcilier l’individu et la société porté par le socialisme fonctionnel. Ce modèle de socialisme qui a fait florès durant les années d’entre deux guerres, fait reposer la vie de la société sur le pouvoir de décision attribué à chacun de ses membres, non seulement en droit mais également en fait. Il fait de la vie collective l’expression de la diversité des fonctions des individus. Ainsi dans un socialisme fonctionnel, les individus ne sont pas réduits à leur fonction de producteur ou à leurs fonctions économiques, comme le veut la logique capitaliste, parfaitement superposable à cet égard à la logique fasciste. Ou plutôt les individus peuvent vivre leur vie économique sans être dans l’obligation de la séparer de leur vie personnelle. La Commune, la société autogestionnaire, la révolution du temps choisi, tous ces idéaux que les contre-révolutions libérales ont contraint à la discrétion, reçoivent avec le modèle du socialisme fonctionnel de solides fondements.

Bibliographie : Retour haut de page

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Notes

[1] Par exemple dans le secteur de l’insertion sociale ou dans celui de la gestion des déchets ménagers.
[2] Cf. L’owénisme et le chartisme, « avec leurs nombreux partisans peuvent se ranger parmi les plus grands mouvements sociaux de l’histoire moderne », dont l’échec n’est pas sans rappeler celui des derniers mouvements sociaux français contre la réforme des retraites. Ces mouvements « ont servi à prouver combien était inévitable, dès le départ, la nécessité de protéger l’homme contre le marché. » [Polanyi, 1983, p.225]
[3] Les pauvres » du capitalisme du19ème siècle décrit dans la Grande Transformation.
[4] Pour autant que cette vérité parvienne à la conscience de l’opinion publique, en butte au marketing libéral. Le déterminisme est bien peu polanyien. La suite de l’histoire montre la nécessité de cette prudence. La vérité ne devient pas politique, comme elle le devient sur un plan épistémologique. Polanyi s’est tenu sur cette limite délicate tout au long de sa vie.
[5] C’est ce qui ressort de la réponse de von Mises à la Comptabilité socialiste, par exemple.
[6] Voir note 7 de l’édition des Essais de Karl Polanyi.
[7] J-P Fitoussi cité par M. Fleurbaey [2006, p.22].
[8] Ce skandalon, pierre d’achoppement que recherchait souvent Polanyi selon Llona Duczynska [Polanyi, 1983, p.7].
[9] si malmené dans les entreprises du « secteur » de l’économie sociale et solidaire.

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