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La pensée de François Partant : un espoir face aux processus d'explosion urbaine au XXIème siècle.

Silvia Grünig

Chapitres

Un article introductif au colloque Sortir de l'Industrialisme (Atelier Habitat et Territoire).

La concentration urbaine, que certains auteurs appellent « explosion urbaine » est structurelle au système techno-économique dominant. Elle s'est pourtant démontrée complètement insoutenable. Face à la supposée inéluctabilité des processus, la pensée de François Partant nous aide à découvrir une nouvelle ligne d'horizon.

1 - Introduction

En 2008, le monde parviendra à un point d'inflexion d'une importance majeure [..] ): pour la première fois de son histoire, plus de la moitié de la population du globe, soit 3,3 milliards d'habitants, vivra en milieu urbain. D'ici 2030, ce chiffre devrait avoisiner les 5 milliards dont plus de 80% dans les villes du monde en développement. Beaucoup des nouveaux citadins seront pauvres.[1]

Voilà le panorama que nous dépeint l'ONU dans son rapport sur l'état de la population mondiale 2007, signé para le Fonds des Nations Unies pour la Population, et sous-titré (... poétiquement ?) « Libérer le potentiel de la croissance urbaine ».

Voilà donc la position « officielle ». Systémique.

2 - La concentration urbaine, structurelle au système techno-économique dominant

Pourquoi pouvons nous affirmer que la concentration urbaine est structurelle au système technico-économique dominant[2] ?

Quels seraient les besoins opérationnels du système capitaliste mondialisé menant incontournablement à cette explosion urbaine ?

  • L'industrialisation des campagnes
  • La production croissante de biens et de services
  • L'expansion des marchés
  • L'expansion du commerce

a- La transformation du secteur primaire en secteur industriel.

Dans le but d’augmenter la productivité et la compétitivité agricoles, des changements dans les méthodes et les modes de vie ont été introduits dans les campagnes dans un processus initié avec le closage des communaux[3] : regroupement agricole ; emploi de technologies de pointe, intrants chimiques, OGM et brevets ; financiarisation ... La conséquence première de cette industrialisation des campagnes a été l'expulsion de la population excédentaire, très notamment dans les pays du tiers monde et plus précisément dans ceux qui ont subi des politiques de développement.

b- Une production industrielle de biens et de services en quantité croissante et avec des taux de productivité croissants, parmi lesquels ont un poids spécifique très important les secteurs qui dépendent de la croissance urbaine - et à leur tour l’engendrent : BTP, industrie automobile, tourisme de masses, etc.

c- Le besoin d'élargir les marchés pour les débouchés d’une production croissante à travers l'expansion de la société de consommation, qui est une société éminemment urbaine, simultanément en extension (par l’introduction de nouveaux consommateurs venus des campagnes) et en intensité (par l’augmentation du volume de consommation[4] ).

d- Le besoin d'expansion du commerce international, la grande ville étant le lieu des flux.

Effectivement, la survie et la reproduction du système a besoin opérationnel de tous ces aspects, et par conséquent, de la croissance urbaine qui devient structurelle au système techno-économique dominant.

Nous pourrions citer aussi d’autres aspects dérivés, probablement non structurels mais pas pour autant moins importants, comme la manipulation politique des masses entassées dans les bidon-villes et l’intégration de ces désespérés dans les réseaux de la délinquance globale[5] un secteur économique important et, lui aussi, structurel au système.[6]

3 - Les conséquences. L'insoutenabilité du modèle

Il est nécessaire maintenant de considérer les conséquences du modèle et pour ce faire nous allons nous rapporter au concept classique de durabilité et à ses trois sommets :
a) Environnemental
b) Économique
c) Social.

a - Les aspects environnementaux sont probablement les plus connus. Les infrastructures dévoratrices de ressources (d'ailleurs toujours insuffisantes...), les besoins irrationnels de transport (eux-aussi toujours insuffisants ...), la promotion d'un tourisme irrationnel, la croissance des ressources destinées à "situer les villes dans la carte de l'attractivité globale" à travers le marketing urbain (grands travaux, édifices emblématiques, grands événements...) ; la consommation effrénée polluante et productrice de déchets en quantité croissante, mènent à la destruction des écosystèmes, du paysage et de la biosphère, à la raréfaction de l'eau, au changement climatique.

La consommation d'énergie croissante dans tous les secteurs, avec des systèmes énergétiques toujours au bord du crash, renforce la vulnérabilité extrême des populations entassées dans des villes à métabolisme linéaire[7] et donc privées de toute autonomie.

b - Du point de vue économique l'insoutenabilité du modèle se situe dans la croissance des besoins de financement des administrations nécessaires pour donner réponse aux besoins démesurés de la croissance urbaine, ressources qui, de leur côté, sont obtenues, dans un cercle vicieux, de la croissance elle-même.

Croissance urbaine, croissance industrielle et croissance financière se confondent, la bureaucratie croissante les soutient, la corruption inhérente au système les aggrave. Insoutenable, nous nous trouvons non seulement dans le noeud de la crise financière actuelle mais, en outre, le décalage entre la production privilégiée de produits a haute valeur ajouté (résidences secondaires, autoroutes de péage, TGV, sécurité, loisirs industrialisés ...) par rapport à la réalité sociale, nous mène au troisième point, qui est pour moi le point fondamental : l’insoutenabilité sociale.

c - Du point de vue humain, la déstructuration sociale et le déracinement, la démesure des besoins et le manque d'autonomie, l'individualisme ou plus simplement le rythme de vie et l'emploi du temps, situent d’énormes masses de populations constamment au bord de l'effondrement, avec un grand nombre en risque de tomber dans cette condition systémique récemment définie comme exclusion. Cette catégorie est à mon avis discutable mais cela dépasse l'objet de cet écrit. Or, elle sert à mettre en lumière la vulnérabilité extrême et immédiate devant tout désastre, crises ou catastrophe qu'ils soient naturels, dus au terrorisme, à des secousses financières de l automate global[8], énergétiques, ou simplement humains.

La profusion de pandémies urbaines: accidents de circulation, accidents du travail, détérioration de la santé à cause du rythme de vie, de la pollution, vieilles et nouvelles addictions (jeu, drogues, achats compulsifs, internet...), maladies alimentaires (anoréxie, obésité, boulimie...) sont des symptômes de l'insoutenabilité du modèle, comme le sont le binôme que forment la hausse de la délinquance et l’apparition des systèmes sécuritaires de tout genre (gated communities, sécurité privée...) qui accentuent la fragmentation sociale et la ségrégation des classes.

Si nous acceptons que la durabilité consiste à harmoniser prospérité économique, équité sociale et qualité environnementale pour assurer la qualité de vie du présent sans compromettre celle des générations à venir, le modèle techno-économique dominant se révèle environnementalement, économiquement mais surtout socialement insoutenable dans les deux échelles temporelles considérées.

Et si nous imaginions un modèle différent ?

4 - la pensée de françois partant comme source d'une alternative.

Par la suite nous verrons en quoi la pensée de François Partant peut nous aider à trouver des lignes de travail vers une nouvelle Ligne d'Horizon dans ce domaine, tout en considérant que c'est la critique radicale du modèle techno-économique dominant qui inspire son oeuvre. Je cite à cet égard François de Ravignan :

« Remettant en cause les notions de croissance, de développement et même de crise, prônant des ruptures drastiques pour enrayer l'exclusion de populations de plus en plus nombreuses, François Partant propose l'émergence d'une alternative socio-économique en marge du système[9], respectant les règles de la démocratie, l'écologie et du droit au travail de tous. À la source de sa pensée, le refus de l'exclusion sociale et une intolérance radicale à l'égard de tout ce qui peut la provoquer ».[10]

En quoi consiste cette alternative?

François Partant propose l'émergence de communautés autonomes bâties sur un paradigme opposé à celui du système dominant :

● Face au modèle concurrentiel[11], des communautés conviviales, solidaires et démocratiques, « qui inversent les priorités en privilégiant les rapports interpersonnels et sociaux plutôt que l' efficacité économique et le profit; des communautés qui s'interdisent tout rapport de domination, imaginant les conditions de production et d'échange qui éviteront les contradictions d'intérêts qui sont à l'origine de la plupart des rapports de domination institutionnalisés »[12].

● Face à une société globale, interdépendante des processus mondialisés de celui que Manuel Castells appelle l'automate financier global, des communautés autonomes, c'est à dire capables de maîtriser sa propre reproduction sociale.

● Face à une société délocalisée, des communautés locales, enracinées dans le territoire.

● Face au monopole du pouvoir par l'économie et bureaucratie, autogestion, qui fait disparaître la distinction entre décideurs et exécutants, épargne les ressources dévorées par les gestionnaires, élimine les activités inutiles exigées par leurs intérêts, ainsi que les services désormais assurés par la coopération volontaire.

● Face au modèle de développement d'origine post-coloniale, qui oblige aux pays dits sous-développés à s'intégrer au système[13] un développement endogène et autonome.

● Face à la croissance concurrentielle déchaînée et l'accaparement des ressources, une réadaptation de l'appareil productif au milieu, et une modification du mode de vie pour créer un nouveau contexte permettant aux peuples du tiers monde de résoudre le leur et viser à une réduction et redistribution équitable de l'empreinte écologique globale (et en même temps alléger notre lest et nos fatigues !)

5 - Conclusion

Nous pouvons conclure que face au modèle territorial techno-économique dominant, François Partant propose un projet politique alternatif.

Lorsque l'ONU ose affirmer que :

L'urbanisation est inévitable... La concentration de pauvreté, l'expansion des taudis et les perturbations sociales actuelles des villes sont autant de menaces qui se profilent à l'horizon. Et cependant, à l'ère industrielle, aucun pays n'a connu de croissance économique significative sans urbanisation.[14]

la mondialisation nous est présentée comme une espèce de « phénomène météorologique » qui effacerait à son passage toute possibilité de choix politique et par conséquent toute trace de véritable démocratie.

Par contre, les communautés autonomes reliées par des liens de solidarité et soudées entre elles par les principes qui les guident pourraient se transformer en se coordonnant à travers un projet politique en un système alternatif à l'écart du marché et de ses lois, qui chercherait à résoudre les problèmes,

ce que les nations ne peuvent faire en occupant progressivement tout le champ social. Une reconstruction progressive du monde pour qu'il devienne un peu moins injuste, un peu moins déchiré para des contradictions d'intérêts: de bas en haut. [15]

Notes

[1] UNFPA. État de la population mondiale 2007. www.unfpa.org
[2] C'est à dire le capitalisme mondialisé, basé sur la compétitivité et la productivité, et celles-ci à leur tour sur l'innovation technologique.
[3] Voir Charbonneau, B. [1969] Le jardin de Babylone, Éd. Encyclopédie des Nuisances, 2002, Pérez-Vitoria, S. Le retour des paysans, Actes Sud, 2005 et Pérez-Vitoria, S. La riposte des paysans, Actes Sud, 2010.
[4] Grâce au trinôme publicité-crédit-obsolescence programmée. Voir Latouche, S. (2006). Le pari de la décroissance. Paris: Fayard.
[5] Notamment dans les filières des drogues, armes et prostitution.
[6] Silvia Pérez-Vitoria raconte souvent comment des chefs de famille arrivés à la grande ville à la recherche d’opportunités pour leurs enfants, décident de repartir devant la certitude que les seules activités accessibles aux jeunes dans les bidon-villes sont en relation avec la délinquance et la drogue.
[7] Le concept de métabolisme est utilisé par l’écologie urbaine pour définir le degré de dépendance par rapport à l'extérieur d'une ville ou territoire pour obtenir ses ressources (nourriture, énergie, eau, matières premières...) et éliminer ses déchets.
[8] C 'est ainsi que Manuel Castells appelle le système financier globalisé fondé sur l’information en temps réel et la volatilité des capitaux.
[9] Système que, par sa propre essence car les dynamiques concurrentielles sont,par définition non maîtrisables[9], on ne peut pas réformer. Voir Granstedt, I. Peut-on sortir de la folle concurrence ? Manifeste à l'intention de ceux qui en ont assez. Paris, La Ligne d'Horizon ed., 2006. Disponible gratuitement ici :
En PDF Zippé : 386 ko -- En PDF : 1.52 Mo
[10] de Ravignan, François. Actualité de la pensée de François Partant Voir la page
[11] Orienté à l'obtention du profit maximal et avec la consommation comme valeur dominante.
[12] Partant, F. "L'économie-monde" en question. Ce texte est paru dans « Crise & Chuchotements, Interrogations sur la pertinence d'un concept dominant », Editions PUF / Paris, Institut universitaire d'étude du développement / Genève - 1984. Aller à la page - Disponible également en téléchargement
[13] À rentrer dans l'engrenage de la compétitivité et par conséquent à s'endetter et dépendre des plus puissants, avec concentration du pouvoir dans les mains de minorités, enrichissement des puissants locaux et extérieurs et progression de la faim à l'intérieur.+ concepciòn capitalística de la tierra + en la traslación de modelos, el condicionamiento del crédito y el control del acceso a los mercados del primer mundo.
[14] UNFPA 2007. Op. cit.
[15] Partant, F. "Léconomie-monde" en question. Op. cit.

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